Planète Kornati
30 juin 2016
Le dernier jour de la création, Dieu voulut couronner son Oeuvre, c'est pourquoi il créa les îles Kornati avec des larmes, des étoiles et du souffle.
Planète Kornati
Depuis le premier jour de l'été, la chaleur s'est installée et nous avons quitté les jolis petits ports des îles du Kvarner pour descendre plus au sud de mouillage en mouillage sauvage.
Avez-vous entendu parler des Kornati ? C'est un espace magique qui vous transporte sur une autre planète, un archipel de 89 îles et ilôts en couronne (d'où le nom croate de Kornati) au large de Zadar. La morphologie des lieux a quelque chose de lunaire. Imaginez des monts doucement arrondis, déserts, entièrement dénudés, flottant sur une eau qui va de l'aigue-marine à l'émeraude. Il y a des îlots solitaires, des chaînes de collines, des falaises et de vrais pics à 343 m! Pour les Jurassiens, j'aurais une comparaison facile, prenez la dernière chaîne des Monts Jura, coupez les sommets à mi-pente et posez-les sur la mer, vous aurez une petite idée des Kornati!
Quelques maisonnettes au bord de l'eau restaurent de poissons grillés les plaisanciers car c'est un paradis de la voile. Un lacis de murets de pierres sèches dévale les pentes d'herbe rase et délimitent des parcelles qui furent le paradis des moutons et des chèvres il y a quelques siècles. Ce sont eux qui pelèrent ces îles karstiques jusqu'à la roche. On entend encore quelques bêlements qui tiennent compagnie aux cigales chantant sous les pins ou les figuiers sauvages à proximité des maisons.
Aujourd'hui les Croates en ont fait un parc national terrestre et marin très protégé, inhabité, aucun hôtel, pas de plage. Les mouillages sont limités à des zones spécifiques mais suffisamment nombreuses pour pouvoir jouer à Robinson quand on débarque sur une île déserte. On nage dans une eau cristalline turquoise rare en Méditerranée.
Ces paysages solitaires me fascinent, au petit matin je tente de les aquareller avant que le soleil ne blanchisse les reliefs. Envie aussi d'escalader les collines que j'aperçois depuis le pont de Castafiore. Chaussée légèrement de sandales de marche, je pars grimper mais, surprise ! Passé un champs d'oliviers noueux, j'arrive dans ce que je croyais être, de loin, une pente à l'herbe rèche, en fait c'est un terrain accidenté de roches blanches hâchées, déchiquetées, tordues par l'érosion, entrelardées de chardons jaunes. Pas de sentier, je redescends comme je peux avec quelques égratignures, un brin de sauge entre les dents, pestant, mais en même temps ravie d'avoir vu ce paysage de près.
Pas d'accès internet, pas de réseau téléphonique aux Kornati, même pas dans le minuscule village Vringe, capitale de cette planète Kornati. C’est une sensation bizarre mais délicieuse de se retrouver coupé du monde. Même Jean-Luc, d’ordinaire accro à tout ce qui est réseaux divers, trouve beaucoup de charme à cette déconnexion totale, pourvu qu’elle ne dure pas trop longtemps !
CAPITO CAPITAINE
L’eau, dis, c’est rare ? Non seulement nous n’avons ni téléphone ni internet sur cette planète Kornati, mais en outre (si j’ose dire) nous n’avons plus d’eau. Douce.
Les deux moteurs électriques du déssalinisateur sont tombés en carafe (si j’ose encore dire). Pour produire de l’eau douce, faut pousser très fort de l’eau salée contre une grille fine. Derrière la grille, l’eau douce sort et le miracle s’appelle l’osmose. Mais il faut vraiment pousser fort, genre 100 bars de pression (un pneu de voiture c’est 2 bars). Donc un moteur est indispensable pour entraîner la pompe de pression qui par ses va-et-vient, finira par délivrer son jet limpide. Commande de nouveaux moteurs est faite. Le temps qu’ils arrivent, l’eau va couler sous la coque. On fait alors le plein comme on peut dans des endroits où l’eau est plus rare que le bon sens au Royaume-Uni. A bord, les pannes sont les poèmes de chaque matin et leurs vers sont parfois compréhensibles, parfois écrits en glagolitique. Il faudrait imaginer une ode à la panne comme on boit un bon sylvaner bien frais le soir au couchant. En riant.